Navi Radjou est consultant en innovation dans la Silicon Valley.
Co-auteur de L’innovation Jugaad, redevenons ingénieux, il a théorisé « L’innovation frugale », le principe du système D développé dans les pays émergents. Il incite les entrepreneurs à faire mieux avec moins et à convertir les contraintes du marché en opportunités de développement.

Après la Covid-19, le monde entrera dans une récession prolongée qui pourrait durer jusqu’en 2022.
Tous les pays et tous les secteurs devront faire face à un triple défi :
Le modèle économique capitaliste vieux de 200 ans, basé sur la maximisation des profits et « faire plus avec plus » (utiliser toujours plus de ressources pour créer plus de produits) touche à sa fin. A sa place, les technologies numériques, les nouvelles réglementations, les mouvements antimondialisation et des millions de consommateurs et d’employés issus des générations Y et Z avec une conscience sociale et écologique aiguë vont donner naissance à l’économie frugale.
Une économie frugale génère une plus grande valeur— et des valeurs — pour toutes les parties prenantes d’un écosystème d’une manière très efficace, socialement inclusive et éco-durable – en utilisant moins de ressources et sans polluer.
Cette nouvelle économie de plusieurs trillions d’euros est alimentée par 3 méga tendances :

Une grande majorité des français participe déjà activement à la consommation collaborative en partageant leurs voitures (covoiturage) et appartements (Airbnb).
PwC prévoit que l’économie collaborative atteindra les 570 milliards d’euros à l’horizon 2025 (contre 28 milliards d’euros en 2016). Mais les entreprises françaises pourraient façonner l’économie de partage inter-entreprises en partageant entre elles leurs ressources, personnel, équipement, voire leur propriété intellectuelle.
Au Danemark, les entreprises co-localisées dans le parc industriel Kalundborg partagent les déchets et ressources entre elles de façon synergique, formant une « symbiose industrielle ».
Aux Pays-Bas, la plateforme Floow2 permet aux hôpitaux de partager leurs appareils médicaux et services, optimisant ainsi l’utilisation de leurs actifs et les services pour leurs patients.
En France, Vénétis est une association de 360 petites entreprises françaises qui embauche des experts, disons en intelligence artificielle ou en développement durable, en CDI et les partage sur une base de projet entre ses membres, remplaçant ainsi les emplois à temps partiel instables par des emplois à « temps partagé » mieux payés.

Après COVID-19, on va assister à une relocalisation importante des activités industrielles en France. Le succès des marques comme 1083 et Le Slip Français montre l’engouement grandissant des consommateurs français pour le « Made in France ».
En s’appuyant sur les technologies avancées telles que la blockchain, l’intelligence artificielle, l’impression 3D, et l’Internet des objets, la France pourrait construire des chaînes d’approvisionnement « en réseau ».
Il s’agirait de micro-usines hyper-agiles approvisionnées par des fournisseurs locaux capables de produire « mieux avec moins », c’est à dire fabriquer une grande variété de produits personnalisés à petite échelle et de façon durable : ce serait l’antithèse du modèle industriel chinois de production standardisée à grande échelle et hyper-polluante.
La France pourrait créer des plateformes collaboratives comme Xometry, un « marché industriel à la demande » qui utilise l’intelligence artificielle pour mettre en relation de grosses entreprises industrielles, comme GE ou BMW, avec des milliers d’ateliers d’usinage dans le monde qui peuvent produire rapidement des pièces de qualité économiques et sur mesure (cela permet aux propriétaires de petites usines de faire fonctionner leurs machines en permanence).

Pour contrecarrer le changement climatique, il est impératif que les entreprises françaises adoptent les principes de l’économie circulaire pour concevoir et fabriquer des produits respectueux de l’environnement et sans déchet.
Le Club de Rome estime qu’en adoptant une stratégie d’économie circulaire pour réutiliser et recycler les déchets et les ressources, la France pourrait faire baisser de 66 % ses émissions de gaz à effet de serre, créer 500 000 emplois et améliorer la balance commerciale de plus de 2,5 % du PIB.
Mais les entreprises françaises ont la possibilité de mettre la barre encore plus haut en adoptant les principes de la « régénération ». Plutôt que de réduire légèrement leur empreinte carbone (impact négatif), elles peuvent aspirer à augmenter leur impact positif sur l’environnement. Elles pourraient, par exemple, construire des bâtiments (bureaux) à énergie positive, ou imiter Interface, le plus grand fabricant de dalles de moquette au monde, qui a construit une « usine-forêt » régénératrice en Australie. Cette usine génère des « services écosystémiques » vertueux comme l’eau potable et l’énergie verte qui sont offerts gratuitement aux communautés locales.
En adoptant les pratiques professionnelles régénératrices, la France pourrait entraîner le monde dans une économie bas carbone qui devrait générer 26 000 milliards de dollars de profit économique et créer plus de 65 millions de nouveaux emplois « verts » dans le monde à l’horizon 2030.
Vous, en tant que chefs d’entreprise, devrez « orchestrer » la transformation de votre organisation pour la rendre plus frugale, agile, et durable !
Vous devez utiliser l’esprit jugaad – cette capacité résiliente à transformer l’adversité en opportunité – pour réinventer et repositionner votre entreprise pour réussir dans la nouvelle économie frugale qui va émerger après COVID-19.
Selon le sondage ViaVoice réalisé en mars 2020, les Français aspirent à un « monde d’après » qui promeut l’empathie envers les autres (61 %), soutient la protection de la planète (53%), et aide à la réduction des inégalités (47 %). Par contre, ils s’opposent à la surconsommation (10 %) et souhaitent « vivre mieux avec moins ».
Retrouvez dans le “Manifeste faisons-nous confiance” (document disponible en téléchargement), les nouvelles formes de gouvernance et les nouveaux modèles de création de valeur que vous devrez adopter pour répondre aux nouvelles attentes – et surtout aux nouvelles valeurs – de vos collaborateurs et consommateurs dans le monde d’après Covid-19.
En adoptant ces bonnes pratiques, vous deviendrez plus agile et plus profitable tout en construisant une entreprise avec un esprit entrepreneurial, un cœur social et une âme écologique.